Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/288

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Il m’est impossible de comprendre comment la conviction que j’ai de la nécessité d’une chose, peut devenir la cause efficiente de cette chose. Je suis libre, non parce que l’excellence de la liberté m’est prouvée, bien que cette démonstration ait pu servir à me faire vouloir la liberté ; mais parce que je réunis les conditions qui font l’homme libre. De même, les hommes passeront de la discorde à l’harmonie, non pas seulement en vertu de la connaissance qu’ils auront acquise de leur destinée, mais grâce aux conditions économiques, politiques, ou autres, qui dans la société constituent l’harmonie. A la voix du Christ, l’humanité tressaillit d’amour et pleura de tendresse ; une sainte ferveur s’empara des âmes : c’était un effet de réaction, le résultat d’un long épuisement. Cette émotion fut de courte durée. Los discordes chrétiennes surpassèrent les haines de l’idolâtrie ; la fraternité se dissipa comme un rêve, parce que rien n’étant prévu pour la soutenir, elle manquait, à vrai dire, d’aliment. La situation est encore la même ; la fraternité, aujourd’hui comme toujours, attend pour exister un principe qui la produise : le socialisme pense-t-il qu’il suffise, pour remplir cette condition, de prêcher la fraternité ?

Ainsi, nous bâtissons sur le vide ; nous périssons misérablement en vue de la terre promise, que nous voulons atteindre à travers les airs au lieu de suivre la route désignée et d’aller d’étape en étape. La fraternité n’existe pas, cela est universellement reconnu ; et le socialisme, au lieu d’en chercher les éléments, s’imagine qu’il lui suffit de parler. Que la fraternité soit ! dit-il… Mais la fraternité ne peut être.

Quelques-uns, prenant les formes de la fraternité pour la fraternité même, assurent que la bienséance, le bon ton, les sentiments qu’inspire une éducation généreuse, les mœurs polies et affectueuses des générations futures, ne permettent pas de supposer que personne, abusant de la confiance sociale, trahisse la loi du dévouement et de la fraternité. Ceux-là ressemblent aux économistes qui, remplaçant le numéraire par des billets, le gage par le signe, s’imaginent avoir aboli l'usage du numéraire. Mais les billets ne valent qu’autant qu’ils sont nantis ; de même, l’urbanité, la bienséance, les protestations de dévouement, n’ont de valeur qu’à la condition d’une hypothèque qui les soutienne : qu’on me dise donc où est cette hypothèque ! Ce qui fait naître l’amitié, l’estime, la confiance, l’empressement à obliger, c’est la certitude de la réciprocité, ou ce qui revient au même, c’est le