Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/301

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Ainsi raisonnèrent Pythagore, Lycurgue, Platon, Zénon, Diogène, Jésus et les esséniens, les gnostiques et ébionites, Sénèque, tous les Pères, tous les moralistes, les trappistes, les owénistes, etc., etc., etc.

Il faut dire pourtant que sur cette question du luxe la tradition socialiste n’est pas demeurée unanime. Quelques-uns ont fait schisme, comme les épicuriens, desquels sont issus les saint-simoniens, auteurs de la réhabilitation de la chair, et les fouriéristes, partisans du luxe et de la luxure, in omi modo, genere et casu. Ceux-ci ont trouvé d’une tactique meilleure, plus engageante et plus lucrative, de promettre à leurs néophytes en richesse, luxe, somptuosité, plaisirs, magnificence, tout ce que ceux-là menacent de faire pour la modestie et la médiocrité. Cette scission n’a rien de surprenant : il en fallait pour tous les goûts, et, d’un côté comme de l’autre, on ne risquait guère. Les souscriptions viendraient toujours : on pouvait môme se flatter d’obtenir, tant le monde est bête, les honneurs de la critique !...

L’erreur du socialisme, tant épicurien qu’ascétique, relativement au luxe, provient d’une fausse notion de la valeur. D’après la loi de proportionnalité des produits, le luxe est une expression purement relative, servant à désigner les objets auxquels la production arrive en dernier lieu, et qui entrent en plus faible quantité dans la composition de la richesse. D’après cette notion élémentaire d’économie sociale, il est aussi absurde de parier de rendre le luxe commun et facile que de le vouloir interdire : puisque d’un côté l’on méconnaît la série des valeurs, ce qui aboutit à une mystification ; de l’autre on mutile cette série, ce qui revient à décréter la misère.

Ce qui embarrasse les adversaires du luxe, et à quoi ses appologistes n’on répondu qu’en désertant la fraternité et affichant le plus intraitable égoïsme, c’est la manière dont se fera la distribution. Dans une société où toutes les personnes sont égales et ne peuvent avoir rien en propre, une parure de diamants, un bracelet de perles, serait un objet qui, ne pouvant se diviser, créerait pour le propriétaire un privilège nouveau, une sorte d’aristocratie. Or, ce que nous disons des pierres précieuses, on peut le dire de mille autres choses : le luxe, bien qu’il ait pour principe la rareté, est par la variété infini. Le moyen de tolérer dans une communauté un pareil abus ? Et maintenant, je vous le demande, à vous