Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/357

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produit de son fonds, il vit de sa substance : c’est ce que signifie la phrase populaire, Vivre de son travail.

L’homme donc, seul entre les animaux, travaille, donne l’existence à des choses que ne produit point la nature, que Dieu est incapable de créer, parce que les facultés lui manquent ; de même que l’homme, par la spécialité de ses facultés, ne peut rien faire de ce qu’accomplit la puissance divine. L’homme, rival de Dieu, aussi bien que Dieu, mais autrement que Dieu, travaille ; il parle, il chante, il écrit, il raconte, il calcule, fait des plans et les exécute, se taille et se peint des images, célèbre les actes mémorables de son existence, institue des anniversaires, s’irrite par la guerre, provoque sa pensée par la religion, la philosophie et l’art. Pour subsister, il met en œuvre toute la nature ; il se l’approprie et se l’assimile. Dans tout ce qu’il fait, il met du dessein, de la conscience, du goût. Mais ce qui est plus merveilleux encore, c’est que, par la division du travail et par l’échange, l’humanité tout entière agit comme un seul homme, et que cependant chaque individu, dans cette communauté d’action, se retrouve libre et indépendant. Enfin, par la réciprocité des obligations, l’homme convertit son instinct de sociabilité en justice, et pour gage de sa parole, il s’impose des peines. Toutes ces choses, qui distinguent exclusivement l’homme, sont les formes, les attributs et les lois du travail, et peuvent être considérées comme une émission de notre vie, un écoulement de notre âme.

Les animaux s’agitent, sous l’empire d’une raison qui dépasse leur conscience ; l’homme seul travaille, parce que seul il conçoit son travail, et qu’à l’aide de sa conscience il forme sa raison. Les animaux que nous nommons travailleurs, par métaphore, ne sont que des machines sous la main de l’un des deux créateurs antagonistes. Dieu et l’homme. Ils ne conçoivent rien, partant il ne produisent pas. Les actes extérieurs qui semblent quelquefois les rapprocher de nous, le talent inné chez plusieurs de se loger, de s’approvisionner, de se vêtir, ne se distinguent pas chez les animaux, quant à la moralité, des mouvements de la vie organique : ils sont d’abord complets et sans perfectionnement possible. Quelle différence, au point de vue de la conscience, pouvons-nous découvrir entre la digestion du ver à soie et la construction de sa toile ? En quoi l’hirondelle qui couve est-elle inférieure à l’hirondelle qui bâtit ?…

Qu’est-ce donc que le travail ? Nul encore ne l’a défini. Le