Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/367

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encore dans cette phrase populaire, qui se dit d’un être hébété, stupide, destitué de goût et de vigueur, il travaille sans amour. Et cette métaphore a passé jusqu’aux instruments mécaniques du travail : le peuple dit une vive arête, un tranchant vif ; il dit d’une scie qui coupe, d’une ligne qui mort), qu’elle a de l’amour

La conséquence de cette idée, toute d’intuition et de sentiment, c’est l’antagonisme naturel du travail et de l’amour. La vie de l’homme, suivant le jugement spontané du peuple, s’écoule alternativement par deux issues, dont l’une se ferme quand l’autre s’épanche : ici l’expérience confirme la révélation de l’instinct. La faculté industrielle ne s’exerce qu’aux dépens de la faculté prolifique : cela peut passer pour un aphorisme de physiologie aussi bien que de morale. Le travail est pour l’amour une cause active de refroidissement ; c’est le plus puissant de tous les antiaphrodisiaques, d’autant plus puissant surtout, qu’il affecte simultanément l’esprit et le corps.

Je n’ai que faire de m’étendre longuement sur un fait d’une vérité aussi vulgaire, que l’on a peu remarqué, parce qu’on n’en a pas su voir l’importance dans l’économie du monde : Ainsi Malthus avait observé que les sauvages d’Amérique, menant une vie pleine de tribulations et d’angoisses, sont médiocrement portés à l’amour ; mais il ajoute que cette frigidité diminue rapidement avec l’abondance et le repos. Cependant Malthus, l’inventeur de la contrainte morale, qui consacra quarante ans d’une vie laborieuse à étudier le problème de la population, ne songe point à généraliser un fait qui l’aurait conduit à la vraie solution. Au reste, comment Malthus aurait-il su tirer de ce fait toutes les conséquences qui s’y trouvaient renfermées, dès lors qu’il n’avait pas su reconnaître la loi d’accroissement du travail, et par-dessus cette loi, la loi du progrès de la richesse, et son intime solidarité avec le progrès de la population ?

Ainsi encore, les économistes ont relevé la fécondité singulière de la classe indigente ; un homme d’un vaste savoir, M. Auguste Comte, a môme signalé ce phénomène comme une des lois les plus remarquables de l’économie politique. On n’avait garde de remarquer en même temps que l’indigence est de sa nature peu travailleuse, et que le pauvre, soumis à un labeur mécanique sans aucune dépense intellectuelle, conserve toujours, si chétive que soit sa subsistance,