Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/49

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de pauvres, dont la caste, toujours assez nombreuse pour dévorer l’excédant que laissent au fermier les terres de première qualité, au mineur les mines les plus riches, à l’industriel les exploitations les plus productives, ne peut permettre au travail d’atteindre aux terres et à toutes les exploitations inférieures, sans abandonner ses revenus. Dans ce système de monopoles engrenés, qu’on appelle liberté du commerce, le détenteur des instruments de production semble dire à l’ouvrier : Tu travailleras tant que par ton travail tu pourras me laisser un excédant ; tu n’iras pas plus loin. La nature a voulu que l’habitant de chaque zone vécût d’abord de ses produits naturels, puis qu’il obtînt, à l’aide du surplus, les objets que son pays ne produit pas. Dans le plan du monopole, au contraire, le travailleur n’est plus que le serf de l’oisif cosmopolite : le paysan de Pologne sème pour le lord d’Angleterre ; le Portugais, le Français produisent leurs vins pour tous les oisifs du monde : la consommation, si j’ose ainsi dire, est dépaysée ; le travail même, limité par la rente, réduit à une spécialité étroite et servile, n’a plus de patrie.

Ainsi, après avoir trouvé que l’inégalité des échanges ruine à la longue les nations qui achètent, nous découvrons encore qu’elle ruine aussi celles qui vendent. L’équilibre une fois rompu, la subversion se fait sentir de toutes parts. La misère réagit contre son auteur ; et comme à la guerre l’armée conquérante finit par s’éteindre dans la victoire, ainsi, dans le commerce, le peuple le plus fort finit par être le plus pressuré. Étrange renversement ! Say nous dit que dans le libre échange tout l’avantage est à celui qui reçoit le plus ; et de fait, en prenant l’avantage au sens du moindre dommage, Say avait tout à fait raison. On souffre moins à consommer sans produire, qu’à produire sans consommer ; d’autant mieux qu’après avoir tout perdu, il reste le travail pour tout reconquérir.

L’Angleterre est depuis longtemps ce pays A, marqué par M. Bastiat ; pays capable à lui seul d’approvisionner le monde d’une multitude de choses, et à des conditions meilleures que tous les autres pays. Malgré les tarifs dont s’est entourée partout la méfiance des nations, l’Angleterre a recueilli le fruit de sa supériorité ; elle a épuisé des royaumes et attiré à soi l’or de la terre ; mais en même temps la misère lui est venue de tous les points du globe. Création de fortunes inouïes, dépossession de tous les petits propriétaires,