Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 4.djvu/134

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pas beaucoup plus que lui mais exécutaient du moins quelques mouvements. Il est probable que le matin ils aidaient au nettoyage. Mais l’après-midi ils restaient là seulement comme des choristes qui, même quand ils ne servent à rien, demeurent en scène pour ajouter à la figuration. Le Directeur général, celui qui me faisait si peur, comptait augmenter considérablement leur nombre l’année suivante, car il « voyait grand ». Et sa décision affligeait beaucoup le directeur de l’hôtel, lequel trouvait que tous ces enfants n’étaient que des « faiseurs d’embarras » entendant par là qu’ils embarrassaient le passage et ne servaient à rien. Du moins entre le déjeuner et le dîner, entre les sorties et les rentrées des clients remplissaient-ils le vide de l’action comme ces élèves de Mme  de Maintenon qui sous le costume de jeunes israélites font intermède chaque fois qu’Esther ou Joad s’en vont. Mais le chasseur du dehors, aux nuances précieuses, à la taille élancée et frêle, non loin duquel j’attendais que la marquise descendît, gardait une immobilité à laquelle s’ajoutait de la mélancolie, car ses frères aînés avaient quitté l’hôtel pour des destinées plus brillantes et il se sentait isolé sur cette terre étrangère. Enfin Mme  de Villeparisis arrivait. S’occuper de sa voiture et l’y faire monter eût peut-être dû faire partie des fonctions du chasseur. Mais il savait d’une part qu’une personne qui amène ses gens avec soi se fait servir par eux, et d’habitude donne peu de pourboires dans un hôtel, que les nobles de l’ancien faubourg Saint-Germain agissent de même. Mme  de Villeparisis appartenait à la fois à deux de ces catégories. Le chasseur arborescent en concluait qu’il n’avait rien à attendre de la marquise ; en laissant le maître d’hôtel et la femme de chambre de celle-ci l’installer avec ses affaires, il rêvait tristement au sort envié de ses frères et conservait son immobilité végétale.

Nous partions ; quelque temps après avoir contourné