Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 9.djvu/212

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne serait qu’un tout petit « maux de gorge » et m’assura avoir entendu dire qu’on les calmait à l’aide de ce qu’il appelait : le « calyptus ».

Il me remit un petit mot d’Albertine. Elle n’avait pas dû venir à Balbec cette année, mais, ayant changé de projets, elle était depuis trois jours, non à Balbec même, mais à dix minutes par le tram, à une station voisine. Craignant que je ne fusse fatigué par le voyage, elle s’était abstenue pour le premier soir, mais me faisait demander quand je pourrais la recevoir. Je m’informai si elle était venue elle-même, non pour la voir, mais pour m’arranger à ne pas la voir. « Mais oui, me répondit le directeur. Mais elle voudrait que ce soit le plus tôt possible, à moins que vous n’ayez pas de raisons tout à fait nécessiteuses. Vous voyez, conclut-il, que tout le monde ici vous désire, en définitif. » Mais moi, je ne voulais voir personne.

Et pourtant, la veille, à l’arrivée, je m’étais senti repris par le charme indolent de la vie de bains de mer. Le même lift, silencieux, cette fois, par respect, non par dédain, et rouge de plaisir, avait mis en marche l’ascenseur. M’élevant le long de la colonne montante, j’avais retraversé ce qui avait été autrefois pour moi le mystère d’un hôtel inconnu, où quand on arrive, touriste sans protection et sans prestige, chaque habitué qui rentre dans sa chambre, chaque jeune fille qui descend dîner, chaque bonne qui passe dans les couloirs étrangement délinéamentés, et la jeune fille venue d’Amérique avec sa dame de compagnie et qui descend dîner, jettent sur vous un regard où l’on ne lit rien de ce qu’on aurait voulu. Cette fois-ci, au contraire, j’avais éprouvé le plaisir trop reposant de faire la montée d’un hôtel connu, où je me sentais chez moi, où j’avais accompli une fois de plus cette opération toujours à recommencer, plus longue, plus difficile que le retournement de la