Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 9.djvu/264

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

président qui, à ce moment, s’avançait vers nous, s’écarta d’un bond, quand il reconnut la voiture, pour ne pas être vu dans notre société ; puis, quand il pensa que les regards de la marquise allaient pouvoir croiser les siens, s’inclina en lançant un immense coup de chapeau. Mais la voiture, au lieu de continuer, comme il semblait probable, par la rue de la Mer, disparut derrière l’entrée de l’hôtel. Il y avait bien dix minutes de cela lorsque le lift, tout essoufflé, vint me prévenir : « C’est la marquise de Camembert qui vient n’ici pour voir Monsieur. Je suis monté à la chambre, j’ai cherché au salon de lecture, je ne pouvais pas trouver Monsieur. Heureusement que j’ai eu l’idée de regarder sur la plage. » Il finissait à peine son récit que, suivie de sa belle-fille et d’un monsieur très cérémonieux, s’avança vers moi la marquise, arrivant probablement d’une matinée ou d’un thé dans le voisinage et toute voûtée sous le poids moins de la vieillesse que de la foule d’objets de luxe dont elle croyait plus aimable et plus digne de son rang d’être recouverte afin de paraître le plus « habillé » possible aux gens qu’elle venait voir. C’était, en somme, à l’hôtel, ce « débarquage » des Cambremer que ma grand’mère redoutait si fort autrefois quand elle voulait qu’on laissât ignorer à Legrandin que nous irions peut-être à Balbec. Alors maman riait des craintes inspirées par un événement qu’elle jugeait impossible. Voici qu’enfin il se produisait pourtant, mais par d’autres voies et sans que Legrandin y fût pour quelque chose. « Est-ce que je peux rester, si je ne vous dérange pas, me demanda Albertine (dans les yeux de qui restaient, amenées par les choses cruelles que je venais de lui dire, quelques larmes que je remarquai sans paraître les voir, mais non sans en être réjoui), j’aurais quelque chose à vous dire. » Un chapeau à plumes, surmonté lui-même d’une