Page:Proust - La Prisonnière, tome 2.djvu/158

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rappelé bien plutôt les sentiments de sympathie qu’il avait éprouvés à l’égard du baron, pendant qu’il disait de lui les mêmes choses qu’en disait tout le monde, que ces choses elles-mêmes. Il n’aurait pas cru mentir en disant : « Moi qui parle de vous avec tant d’amitié », puisqu’il ressentait quelque amitié, pendant qu’il parlait de M. de Charlus. Celui-ci avait surtout pour Brichot le charme que l’universitaire demandait avant tout dans la vie mondaine, et qui était de lui offrir des spécimens réels de ce qu’il avait pu croire longtemps une invention des poètes. Brichot, qui avait souvent expliqué la deuxième églogue de Virgile sans trop savoir si cette fiction avait quelque fond de réalité, trouvait sur le tard, à causer avec M. de Charlus, un peu du plaisir qu’il savait que ses maîtres M. Mérimée et M. Renan, son collègue M. Maspéro avaient éprouvé, voyageant en Espagne, en Palestine, en Égypte, à reconnaître, dans les paysages et les populations actuelles de l’Espagne, de la Palestine et de l’Égypte, le cadre et les invariables acteurs des scènes antiques qu’eux-mêmes dans les livres avaient étudiées. « Soit dit sans offenser ce preux de haute race, me déclara Brichot dans la voiture qui nous ramenait, il est tout simplement prodigieux quand il commente son catéchisme satanique avec une verve un tantinet charentonesque et une obstination, j’allais dire une candeur, de blanc d’Espagne et d’émigré. Je vous assure que, si j’ose m’exprimer comme Mgr d’Hulst, je ne m’embête pas les jours où je reçois la visite de ce féodal qui, voulant défendre Adonis contre notre âge de mécréants, a suivi les instincts de sa race, et, en toute innocence sodomiste, s’est croisé. » J’écoutais Brichot et je n’étais pas seul avec lui. Ainsi que, du reste, cela n’avait pas cessé depuis que j’avais quitté la maison, je me sentais, si obscurément que ce fût, relié à la jeune fille qui était en ce moment dans sa chambre. Même quand je causais avec l’un ou avec