Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/141

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« Tu m’en dois la moitié, ou du moins une bonne partie, et si tu ne me la donnes pas, je te jure par le nom de Dieu !… » — « Ne fais pas de serment, répliquait le soldat, car je ne suis pas boiteux, et en arrivant à la maison je te donnerai mille coups de ma béquille… » Avec les tu donneras, tu ne donneras pas, et les démentis ordinaires, ils en vinrent à se battre et, s’étant saisis l’un et l’autre par leurs hardes, il leur en resta des lambeaux dans les mains aux premières secousses. Nous les séparâmes, en leur demandant la cause de leur querelle. Le soldat s’écria : « Te moques-tu de moi ? tu n’en auras rien du tout… Vous saurez, messieurs, continua-t-il, qu’étant à San Salvador, un enfant s’est approché de ce pauvre et lui a demandé si ce n’était pas l’enseigne Juan de Lorenzana ; et lui, voyant qu’il tenait quelque chose à la main, a répondu oui. Il me l’a amené et m’a dit, en m’appelant enseigne : « Voyez, monsieur, ce que cet enfant vous veut. » Et comme je l’ai compris facilement, je me suis donné pour tel et j’ai reçu le message, qui était accompagné de douze mouchoirs, et j’ai répondu à la mère, qui envoyait sans doute ce présent à quelqu’un de ce nom. À présent il m’en demande la moitié ; mais je me ferai plutôt hacher par morceaux que de la céder ; mon nez les usera. » On lui donna gain de cause. La seule chose qu’on désapprouva, ce fut qu’il s’en servît pour se moucher. On jugea qu’ils seraient remis, afin de contribuer à l’honneur de la communauté, à la vieille pour en faire des bouts de manches qui se vissent et,