Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/26

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verges, il me demandait : « Diras-tu encore Ponce-Pilate ? » Et moi je lui criais : « Non, monsieur ! » Il me fit deux fois la question et il eut toujours la même réponse.

Depuis cet instant le nom de Ponce-Pilate devint pour moi si effrayant, que le jour suivant, le maître m’ayant ordonné de faire, suivant la coutume, la prière publique, quand j’en fus à l’endroit du credo (admirez ma malice innocente !) où il est dit : Il a souffert sous Ponce-Pilate, je n’osai prononcer ce dernier nom, et je dis : « Il a souffert sous Ponce d’Aguirre. » Le maître ne put se contenir de rire de ma simplicité et de la crainte qu’il m’avait inspirée. Il m’embrassa et me donna une cédule par laquelle il m’accordait des exemptions de fouet pour les deux premières fois que je le mériterais. Avec cela, je fus très content.

Enfin, pour abréger, vint le temps du Carnaval ; et le maître voulant procurer un divertissement à ses écoliers, ordonna de faire un roi des coqs. Douze qu’il nomma tirèrent au sort, et ce fut sur moi qu’il tomba. J’en donnai aussitôt avis à mes père et mère, pour qu’ils me procurassent un équipage convenable au rôle que j’allais jouer.

Le jour marqué, je me mis en marche sur un cheval étique et sans forces, qui faisait des révérences, plutôt parce qu’il boitait que pour y avoir été dressé. Il avait la croupière pelée, toute la queue coupée, un cou de chameau avec un seul œil à la tête, dans lequel on ne voyait pas même de prunelle. Il annonçait