Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/27

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bien les pénitences, les jeûnes et les friponneries que lui faisait éprouver, pour avoir sa ration, celui qui était chargé d’en avoir soin. Monté sur cette haridelle, j’errais de côté et d’autre, comme un Pharisien à la procession de la Passion. Suivi des autres enfants, tous magnifiquement vêtus, je passai avec eux par la place. Je frissonne encore quand j’y pense.

Arrivé proche des femmes qui vendent des choux, mon cheval affamé en saisit un, et sans être vu ni entendu, il le fit descendre dans son ventre. L’herbière cependant, qui, comme toutes celles de sa profession, n’était pas tendre, s’en aperçut et commença de crier ; d’autres se joignirent à elle avec quelques coquins, et prenant des navets, des carottes les plus grosses, des melongènes et d’autres légumes, chacun en jette au pauvre roi. Comme je vis que c’était un combat naval, et qu’il ne devait pas se faire à cheval, je voulus descendre de ma monture ; mais au même instant elle reçut à la tête un si rude coup, qu’ayant voulu se cabrer, elle tomba avec moi, qu’on me permette de le dire, dans un privé où je m’accommodai de la manière qu’on peut s’imaginer. Mes camarades ne tardèrent pas à s’armer de pierres, et les ayant fait pleuvoir sur les herbières, ils en blessèrent deux à la tête. Quant à moi, après que je fus tombé dans le privé, je devins le principal acteur de la scène. La justice accourut et arrêta herbières et enfants. Après avoir reconnu les armes des uns et des autres, elle se saisit de celles de mes camarades, qui portaient des petites épées ou quelques dagues