Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/44

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comme l’on fait à de vieilles bordures de tableaux couvertes de poussière, parce que nos dents leur ressemblaient par la chancie dont elles étaient chargées. Ils ordonnèrent ensuite des consommés et des bouillons dans lesquels on mit de bon jus extrait de volailles et mêlé avec un peu de fines herbes. Qui pourrait raconter la satisfaction qu’eurent nos boyaux et la belle illumination qu’ils firent au premier lait d’amandes que nous bûmes, et au premier oiseau que nous mangeâmes ? Les docteurs défendirent de parler haut dans notre logement pendant neuf jours, parce que nos estomacs étaient si creux qu’ils devenaient l’écho de toutes les paroles que l’on prononçait.

Avec ces précautions et d’autres, nous commençâmes à nous rétablir et à recouvrer un peu de force ; mais les mâchoires avaient toujours bien de la peine à se détacher l’une de l’autre ; et comme elles étaient noires et ridées, on donna ordre de les frotter chaque matin avec le manche d’un égrugeoir. Au bout de quatre jours, nous nous levâmes pour essayer de marcher. Nous ne paraissions encore que des ombres d’hommes, ou l’on nous aurait pris tout au plus, à notre air pâle et à notre maigreur, pour des élèves des Pères du Désert. Nous ne cessions tout le jour de rendre à Dieu des actions de grâces, pour nous avoir tiré de la captivité du barbare Cabra, et nous le priions de ne pas permettre qu’aucun chrétien tombât dans des mains si cruelles. Si par hasard en mangeant nous nous rappelions quelquefois le souvenir