Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/45

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

venir

de la table de cet infâme teneur de pension, notre appétit augmentait alors au point que la dépense était portée ce jour-là au double. Souvent nous racontions à Don Alonzo combien ce misérable nous disait de mal de la gourmandise, lui qui ne l’avait connue de sa vie ; et il riait fort, quand nous lui disions que dans le commandement de Dieu : Tu ne tueras pas, il comprenait les perdrix, les chapons et les autres choses qu’il était décidé à ne pas nous donner, et jusqu’à la faim même, car il semblait tenir pour péché, non seulement de la tuer, mais de la nourrir, tant il était avare du manger !

Nous passâmes ainsi trois mois, au bout desquels Don Alonzo songea à envoyer son fils à Alcala de Hénarès pour y achever ses humanités. Il me demanda si je voulais le suivre, et moi, qui ne souhaitais rien tant que de sortir d’une terre où j’étais continuellement exposé à entendre le nom de ce maudit persécuteur d’estomacs, je lui répondis que je servirais toujours son fils avec bien du plaisir. Il lui donna encore un autre domestique en qualité de majordome, pour gouverner la maison et lui rendre compte de l’emploi de l’argent qu’on devait prendre sur ses mandats, chez un homme appelé Julian Merluza.

On mit dans la voiture d’un nommé Diégo Monge tout le bagage, qui consistait en trois lits, un pour Don Diégo, un autre pour moi et un troisième pour le Majordome, qui s’appelait Aranda, avec cinq matelas, cinq paires de drap, huit oreillers, quatre