Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/63

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passait en moi-même, étant d’un côté couvert de honte, avec un doigt disloqué, et craignant de l’autre le fouet ! Enfin, pour me garantir au moins de ce traitement cruel, car ils m’avaient déjà mis les cordes aux cuisses, je donnai à entendre que j’étais revenu à moi. Mais quelque diligence que je fisse, je ne pus empêcher les cicatrices larges de deux doigts qu’ils me firent à chaque cuisse, tant ils avaient de malignité. Après cela ils me laissèrent en disant : « Jésus ! que vous êtes faible ! » Je pleurais de rage. Ils disaient méchamment : « Votre malpropreté nous inquiète moins que votre santé, tranquillisez-vous. » Ils me lavèrent ensuite, me mirent au lit, et s’en allèrent.

Resté seul, je ne m’occupai qu’à considérer qu’il m’en était presque plus arrivé en un jour à Alcala, que je n’en avais éprouvé chez Cabra en deux mois. Je m’habillai à midi, je nettoyai ma soutane du mieux que je pus, la lavant comme une housse de mulet, et j’attendis mon maître qui, en arrivant, me demanda comment j’étais. Tous ceux de la maison dînèrent, et moi aussi, quoique je mangeasse peu et sans appétit. Nous étant après cela tous réunis dans le corridor pour causer, les autres domestiques m’apprirent, en se moquant de moi, que c’étaient eux qui avaient machiné tout ce que j’avais souffert. On en rit beaucoup, et moi j’en restai plus honteux, mais je dis en moi-même : « Pablo, profite de cet avis, tiens-toi sur tes gardes. » Je me proposai de changer de manière de vivre ; et étant par là