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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

de poste de la marine. Le capitaine Skinner était renommé pour ses talents à divertir une société, et il fit les honneurs de l’endroit de la façon la plus hospitalière, en nous invitant tous les jours à dîner avec lui.

Cela répondait du moins à une nécessité qui s’imposait à nous tous en ce moment-là, en nous évitant de nous rencontrer pendant le jour, excepté dans les circonstances où nous pouvions nous soustraire à l’obligation de communiquer familièrement l’un avec l’autre. Il faut que j’explique pourquoi cela était devenu nécessaire. Le dernier jour de notre voyage, le précepteur du Lord W…, après nous avoir accompagnés jusqu’à ce point de notre route, prit ombrage de quelque chose que nous avions dit, ou fait ou omis, et il ne nous adressa pas une syllabe depuis ce moment. Comme nous étions tous les deux dans des dispositions aimables, et que nous étions incapables d’avoir lancé avec préméditation aucun mot, ni commis aucun acte qui pût blesser les sentiments d’autrui, nous fûmes fort peinés, et nous passâmes en revue tous les menus incidents du voyage pour découvrir, si c’était possible, celui qui avait donné lieu à ce malentendu. Mais la chose resta pour nous deux un mystère. Ce précepteur était un Irlandais, et il avait, je crois, de grandes prétentions comme lettré, mais comme il était réservé et hautain, ou que peut-être il supposait que nous connaissions notre tort, en quoi il se trompait, il ne nous offrait aucune occasion de nous expliquer. Néanmoins il se montra jusqu’au dernier moment fidèle et exact à remplir les devoirs de sa charge. Il nous accompagna dans notre bateau, par une nuit noire et orageuse jusqu’au paquebot, qui était