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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

la musique exquise qu’a composée Beethoven comme ouverture à la Lenore de Burger, et dont l’idée maîtresse est celle d’une armée qui revient triomphante de la croisade, ornée de lauriers et de palmes, et qui défiles sous la porte de sa cité natale, quel sera le sentiment prédominant au milieu de cette fête tumultueuse ? Ne s’élèvera-t-elle pas par degrés bien mesurés, au-dessus d’une chose aussi vulgaire que la simple hilarité. Et d’ailleurs le rire est lui-même de nature douteuse : en tant que moyen d’expression du risible, le rire touche au trivial et à l’ignoble ; comme organe de la joie, il est allié à ce qui est passionné et noble.

Par tout ce qui précède, le lecteur, qui n’aurait pas connu cela par l’expérience, peut comprendre que le spectacle de jeunes hommes et de jeunes femmes, coulant en festons de danse compliquée sous un flot de musique sonore, et avec tous les détails variés que présente une telle scène chez un personnage riche, avec l’éblouissement de la lumière et des bijoux, la vie, le mouvement, l’ondulation des têtes pareille à la mer, l’ανακυκλωσις, ou retour sur soi-même de la danse, comme de la musique, jamais ne finissant, toujours commençant, et l’ordre qui renaît sans cesse d’un système de mouvements qui paraît bien calculé pour aller jusqu’à la limite même de la confusion, que tout ce spectacle ou de telles circonstances soit capable de faire naître et durer les émotions les plus grandioses de la mélancolie philosophique auxquelles l’esprit humain soit accessible. Cela s’explique en partie parce qu’une scène de ce genre présente une sorte de mascarade de la vie humaine, avec tout son cortège de pompes et de