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DU MANGEUR D’OPIUM

gloires, tout le luxe dont se réjouissent les yeux et les oreilles, ses heures de jeunesse éclatante, et l’interminable succession des siècles poussant devant eux les siècles, où chaque génération talonne celle qui la précède d’un pas léger, et parce que, pendant tout cela, la musique dispose en souveraine maîtresse l’esprit au spectacle, le sujet à l’objet (comme diraient les Allemands), le contemplateur à la vision. Et bien qu’on sache que ce n’est là qu’une phase de la vie, — la vie allant vers sont point culminant dans son ascension, — pourtant l’autre côté, le côté répulsif est caché par l’autre face, par l’envers de la tapisserie brodée d’or, dont on connaît, mais dont on ne sent pas l’existence, ou qu’on n’aperçoit que d’une manière indécise à l’arrière-plan, où il multiplie ses détails confus. La musique a pour effet de mettre l’esprit en état d’attraction élective pour tout ce qui est en harmonie avec la note dominante en lui.

Ce plaisir-là, je l’eus alors, comme en toutes les occasions semblables, et si j’ai employé peut-être plus de mots qu’il n’en eût fallu pour décrire une sorte d’émotion aussi commune, ce n’est point qu’elle soit, en elle-même, vague ou douteuse, mais c’est qu’il est difficile de persuader au lecteur sans lui demander quelques instants de réflexion, qu’il n’y a rien de paradoxal à affirmer que la joie et le plaisir, à leur plus haut degré, s’allient tout naturellement à la solennité et même à la plus profonde mélancolie. Et cependant, pour dire la vérité toute simple, la nature humaine est si mystérieuse, et si difficile à déchiffrer à première vue, que toute façon de présenter une vérité importante sur ce sujet, paraîtra de prime