Page:Régnier - Escales en Méditerranée.djvu/167

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resserrement des rives, ils s’insinuent dans la lente rivière qu’enjambent de loin en loin des ponts de bois. Sur les berges herbues il y a grand concours de peuple. Des pâtissiers ambulants promènent sous des cloches de verre leurs gâteaux et leurs sucreries. On s’attable en plein vent chez les vendeurs de rafraîchissements. Des femmes sont assises en file, dans l’herbe, au bord de l’eau. Le visage voilé par le « iachmak », enveloppées des amples plis du « feredjé », elles regardent passer les élégantes des caïques allongées en leurs feredjés bleus, violets, bruns, aubergine, prune. Nous voguons un instant côte à côte avec quelques-unes de ces promeneuses au visage secret que nous dépassons ou que nous laissons derrière nous pour rejoindre quelque caïque où se prélasse un gros Turc barbu, où de jeunes officiers en uniforme, coiffés du bonnet d’astrakan blanc, adressent aux femmes de galantes œillades, car la promenade des Eaux-douces est une occasion de rencontres et d’intrigues.

Nous sommes arrivés ainsi jusqu’au point où la rivière cesse d’être navigable. Nous nous arrêtons sous le dernier des ponts de bois qui la traversent. Il est bien vermoulu celui-là. Sous son arche on respire une odeur de vase et d’herbe. Le jour commence à décliner. C’est le moment du retour. Derrière nous, à