Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/11

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des regrets inutiles. À ces moroses chimères, il est impitoyable et il leur cherche obstinément une diversion. Il ne tolère pas que l’on s’y abandonne, et il emploie tous les moyens de les disperser. À ces fins, il est d’une ingéniosité et d’une astuce admirables. La diversité des ruses qu’il invente est incroyable. Il mêle les plus sournoises aux plus naïves. Ses expédients vont du bavardage le plus intarissable aux nettoyages les plus bruyants. Lui qui, d’ordinaire, est silencieux, jacasse alors sans mesure et sans répit. Il claque les portes, ouvre les fenêtres, remue les meubles, vient demander des ordres inutiles et rapporter des réponses à des questions imaginaires. Une fois, même, que la tristesse où il me voyait lui était trop insupportable, il est allé jusqu’à me casser un vase de Chine. Et ce n’est pas tout encore. Marcellin, dans sa serviable haine contre la mélancolie, se porterait aux dernières extrémités. Il en arrive ainsi à oublier ses principes les plus sacrés. Il n’hésite pas à introduire auprès de moi les raseurs les plus avérés et les quémandeurs les plus éhontés. Ma colère lui semble un dérivatif. Il est sans pitié pour mes humeurs noires.

Mais, cette fois, je n’ai pas eu à me plaindre de lui. Il est parvenu à me distraire sans m’horripiler. J’avais eu cependant quelque méfiance en le voyant, ce matin, ouvrir la porte de ma bibliothèque d’un air patelin et satisfait. Heureusement, je me trompais dans mes prévisions. Marcellin venait seulement m’annoncer que M. Pompeo Neroli sou-