Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/276

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refusé ce qu’elle m’offrait, ce don naïf et spontané qu’elle me faisait d’elle-même ? Qui a raison d’Antoine ou de Mme de Lérins ? Et puis, cette Madeleine de Jersainville, qui sait si je ne l’eusse pas aimée ? Quelquefois, le plaisir mène à l’amour. Certains caprices se changent en passion durable. Et voici que je me sens pris, pour cette femme à peine entrevue, d’un étrange désir rétrospectif. Mais bientôt j’ai compris que ce désir, ce n’est pas elle qui me l’inspire. Elle n’est qu’une image superposée, un léger fantôme voluptueux qui bientôt se dissipe et s’évanouit et à travers lequel apparaît Mme de Lérins. Ah ! Laure ! Laure ! j’ai beau souhaiter l’oubli, j’ai beau créer des objections contre mon amour, me laisser aller aux insinuations de ma lâcheté, vous chercher des rivales passagères, c’est vous que j’aime de toute mon âme anxieuse, de tout mon cœur incertain.

Il était près de six heures quand je suis remonté sur le pont. Le soleil était moins ardent et l’air semblait s’être allégé. Comme Antoine était plongé dans un livre, je suis allé causer avec M. Bertin. Pourquoi le canot qui devait ramener à bord Mme Bruvannes et Mme de Lérins, les Subagny et Gernon tardait-il ainsi ? Je commençais à m’inquiéter, quand je l’aperçus, ayant quitté la terre et se dirigeant vers l’Amphisbène. Comme il accostait à l’échelle, Mme de Lérins en riant m’a lancé, d’en bas, une grosse boule dorée que j’ai rattrapée au vol. C’était un énorme citron qu’elle avait cueilli durant sa promenade. Et je le considérais entre