Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/277

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mes mains, fermé, mystérieux, odorant, comme une promesse de bonheur. Ô beau fruit d’or des Hespérides, si ton écorce trompeuse ne cachait qu’une cendre amère !


18 juin. En mer. — En quittant Sorrente, nous ne nous sommes pas arrêtés, comme nous le devions, à l’Île de Capri. Antoine, sans prendre l’avis de Mme Subagny ni de Mme de Lérins, a donné l’ordre au commandant de faire route directement sur Palerme. La pauvre Mme Bruvannes n’a rien osé dire, et il nous a fallu subir cette lubie inexplicable. D’ailleurs, Antoine, qui, depuis une semaine, semblait véritablement mieux, est, depuis deux jours, redevenu fort sombre et de fort méchante humeur. Il a l’air de nous en vouloir à tous. Alors, il nous a privés de Capri.

Pour ma part, j’avoue que cette privation m’est assez indifférente. Que m’importent quelques paysages de plus ou de moins ! Toutes mes pensées ne sont-elles pas prises par un seul songe ? Tous les aspects de la mer et de la terre ne valent pas pour moi ceux d’un visage. Antoine peut bien régler à sa guise les escales, ce n’est pas moi qui protesterai. Mme de Lérins seule m’occupe.

Tout à l’heure, je la regardais. Elle était accoudée sur la lisse. Je contemplais la ligne souple de son dos, sa nuque fraîche sous l’ombre d’un grand chapeau, ses beaux bras nus hors des manches