Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/240

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quelque promenade, si elle en avait la fantaisie par hasard, un soir de printemps, une nuit d’été, au crépuscule en automne ou, vers midi, l’hiver. Partout elle n’allait qu’à travers elle-même. Eustase se promenait moins avec elle qu’en elle. Il y faisait de délicieux voyages et, au retour, lui disait volontiers : « Le couchant de votre chevelure fut d’un or bien tragique ce soir, Humbeline ! » ou il lui donnait à entendre qu’un serpent dormait lové selon la tresse engourdie de sa coiffure gorgonienne. Elle riait et ne préférait pas moins ce qu’il y avait pour elle d’un peu énigmatique dans les propos d’Eustase aux colloques trop clairs que lui avaient imposés les amis dont elle s’était éloignée.

Ils se vengeaient de leur congé en dénigrant le choix qui les avait remplacés. Tout en aimant mieux, par jalousie et par humeur, admettre le principe de réserve réciproque où se tenaient l’un vis-à-vis de l’autre les deux compagnons d’esprit que supposer tout autre situation à cette intimité, ils alléguaient, comme si c’eût été un reproche qui en menaçât la durée, qu’Eustase n’avait point toujours été ainsi. Certes, il avait même été tout à fait autre. Je le sais pour l’avoir