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LA DOUBLE MAÎTRESSE

silence matinal. Julie, distraite, se croyait encore au Fresnay. Elle se ravisa vite et se tut, toute confuse, mais trop tard pour que Mme de Galandot, qui ne dormait guère, ne l’eût entendue de son appartement qui était proche et, de trois coups secs frappés à la muraille, avertie de son inconvenance.

Julie, dépitée de la semonce, mordit sa lèvre qu’elle avait rouge et charnue et la marqua de l’empreinte de ses fines dents. Elle touchait à un âge charmant, grandie et commençant à s’effiler ; dans son visage tendre et rond s’en ébauchait un autre encore incertain, mais qu’on pressentait délicieux ; son gros petit corps s’amincissait déjà gentiment, toute sa personne indécise semblait en train de se chercher une proportion exacte. Elle allait sur ses dix ans.

Elle eut bientôt fait de réapprendre Pont-aux-Belles, ses habitudes et ses habitants. Elle mettait une sorte d’adresse naturelle à y passer inaperçue, faisant peu de bruit et tenant peu de place. Il fallait la voir gravir lestement, fraîche et furtive, les escaliers sonores, parcourir les longs corridors, et, dans la vaste pièce où elle travaillait à la couture en face de Mme de Galandot, juchée sur un haut tabouret, suçant avec une moue contrite et futée le bout de son doigt piqué par la pointe de l’aiguille.

Avec Nicolas seul elle redevenait ce qu’elle était réellement, une fillette turbulente, vive et moqueuse. Le vrai signe de l’amitié pour les enfants est d’oublier qu’on n’a point leur âge. Une fois