Page:Régnier Double maîtresse 1900.djvu/112

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
112
LA DOUBLE MAÎTRESSE

sans toucher à rien, et elle se haussait pour regarder à la fente noire des violoncelles et à la lucarne des contrebasses.

De temps à autre, quelques amateurs se réunissaient à M. du Fresnay pour donner concert. On voyait là M. de Pintel et Me Le Vasseur. Ils s’introduisaient mystérieusement dans la petite salle et chacun prenait place sur une haute chaise, devant un pupitre. Selon leur nombre ils faisaient trio, quatuor ou quintette. Julie aimait à les voir battre la mesure de la semelle, hocher la tête de contentement et cligner de l’œil aux bons endroits.

Quelquefois, M. Le Melier, ancien conseiller au Parlement et qui habitait non loin du Fresnay, venait seul jouer quelque air de vielle. Il excellait véritablement à cet instrument rustique, et Julie s’amusait fort des sons nasillards qu’il en tirait. Ces jours-là, la fillette se couchait tard, car M. Le Melier ne se présentait guère au Fresnay que dans la soirée. Il passait ses journées dans sa bibliothèque à juger des procès imaginaires, car il ne se consolait pas d’avoir, par humeur, vendu sa charge et de s’être, par dépit, exilé aux champs. Pour se distraire de son chagrin, il se faisait à lui seul tout un Parlement : il entendait les parties, ordonnait les enquêtes, cassait, renvoyait, enregistrait, entérinait, se chargeait des plaidoiries, des débats et des arrêts et concluait, après de grandes et inutiles recherches, en ces litiges factices et ces cas vains qu’il imaginait les plus compliqués et les plus embarrassants possibles. Puis, encore tout animé de ces audiences solitaires,