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LA DOUBLE MAÎTRESSE

il dînait vite et seul, prenait sa vielle et, pour se dégourdir les jambes, s’y jouait d’interminables bourrées qu’il dansait en songe, à moins qu’on le vît arriver au Fresnay passer la soirée en compagnie.

Il se mettait en route à travers champs et par des petits chemins déjà obscurs. La vielle, en bandoulière et enfermée dans un sac de peau, gonflait les plis amples de sa grosse houppelande. Les chiens aboyaient dans la cour des fermes endormies. Le bichon de Mme du Fresnay, engourdi sous la jupe de sa maîtresse, se dressait sur ses pattes et, son museau rose hors de ses poils soyeux, jappait rageusement vers la porte du salon.

Elle s’ouvrait et on apercevait dans le vestibule M. Le Melier se débarrassant de ses hardes et ôtant ses galoches fourrées, car les boues de l’automne ne l’arrêtaient point, non plus que les pluies du printemps ni les neiges de l’hiver.

Malgré la nuit, on se rendait au pavillon. M. du Fresnay portait une lanterne. Mme du Fresnay et Julie suivaient emmitouflées. Le jardin rayonnait d’une obscure blancheur, d’une ombre argentée sous un ciel d’étoiles. La neige craquait aux pas. La lanterne balançait son mobile reflet. On entendait le rire clair de Julie, puis le pavillon s’illuminait à giorno.

M. Le Melier tirait alors la vielle de son sac. Elle apparaissait côtelée et ventrue en sa rondeur de gros scarabée sonore et endormi. Il la passait à ses reins par une courroie, puis il tournait la manivelle et il faisait gronder le bourdon et la niargue.