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LA DOUBLE MAÎTRESSE

lui faisait la barbe. Portebize d’ordinaire oubliait volontiers son âge. Il était de forte santé et de bon appétit et sans aucune incommodité de corps ; mais ce poil qui lui poussait au menton, tout rude et déjà gris, l’avertissait au matin qu’il n’avait plus vingt ans. La plupart du temps, il ne prenait pas garde à cet avis ; mais aujourd’hui, il ne s’y sentait pas indifférent et il fit une amère grimace à l’insolent petit miroir qui opposait à ses prétentions un visage qui ne les justifiait plus.

Il s’y voyait la face large et rougeâtre, les paupières plissées, la bouche alourdie, le menton empâté. Il ne lui restait véritablement de toute sa figure d’autrefois que le feu vif des yeux, la belle et hardie courbe du nez et la forte carrure du front. Une fois debout, tout cela composait un ensemble encore passable, car il portait bien sa corpulence, mais il regrettait tout de même son visage passé, dont jadis il avait fait tant d’usage et que tant d’usage avait rendu ce qu’il était. D’ordinaire, ces pensées l’occupaient peu, et, s’il songeait aujourd’hui aux inconvénients de l’âge mûr, c’est que toutes les grâces de la jeunesse lui étaient apparues la veille au soir, en la personne de Mlle de Mausseuil.

Non pourtant que le gros homme se sentît amoureux. Il avait déjà depuis longtemps renoncé à l’amour pour le plaisir et, le plus souvent, la débauche lui tenait lieu de l’un et de l’autre ; mais il éprouvait pour Julie un vif intérêt et n’aurait point été fâché de l’intéresser à son tour, peut-être simplement parce que tout le monde s’inté-