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LA DOUBLE MAÎTRESSE

ressait à elle. M. de Vidrecourt, le colonel, n’en tarissait pas, et pendant plusieurs jours il ne fut bruit à la ville que de la surprenante beauté de Mlle de Mausseuil, si bien que, si Mme de Galandot et Nicolas eussent vécu moins retirés de tout et de chacun, ils auraient pu en apprendre quelque chose.

Les du Fresnay non plus ne se doutaient guère de cette rumeur. Ils avaient repris leur train ordinaire, mais Julie était restée comme transformée. Une gaieté charmante l’habitait maintenant ; il semblait que cette soirée de lumières et de danses l’eût illuminée et animée d’une vie nouvelle.

Elle descendait les escaliers en tourbillons, riait à tout propos et chantait à pleine voix. M. du Fresnay, du pavillon de musique où, tout guilleret, il exécutait sur son violon les airs les plus alertes de son répertoire, la voyait aller et venir dans le jardin, avec une marche légère et comme envolée. Elle se baissait, cueillait une fleur, la respirait longuement et, avec coquetterie, lui cherchait une place à son corsage ou dans ses cheveux ; elle était délicieuse à voir ainsi ; attentive et hésitante, puis satisfaite, elle pirouettait et disparaissait derrière la charmille. L’honnête M. du Fresnay, qui s’était interrompu de jouer, reprenait son archet, puis, sans raison, se mettait à rire tout seul, de telle sorte que les vitres du pavillon en tintaient, car cet homme fin avait le rire facilement gros et comme tout épanoui de bienveillance et de bonté.

Mme du Fresnay était ravie, elle aussi, de cet