Page:Régnier Double maîtresse 1900.djvu/151

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
151
LA DOUBLE MAÎTRESSE

toucher et de palper. Il tressaillait à table, sous les yeux de sa mère, quand il sentait se poser sur le sien le pied de Julie qui prenait à son trouble un malicieux plaisir.

Quant à elle, sa hardiesse augmentait de jour en jour, et elle finit par la porter aux dernières limites de l’audace. Parfois, Nicolas cherchait une trêve et un refuge dans l’appartement de Mme de Galandot. Il s’asseyait dans un fauteuil sans parler, regardait attentivement le mobilier sévère, les hautes tentures d’un vert sombre, puis il reportait les yeux sur sa mère. Elle lisait ou travaillait, ramassée sur elle-même, avec ses habits couleur de tan, sa coiffure à l’ancienne mode. Auprès d’elle, une petite table à pieds tors supportait des vases et des flacons. Souvent il surprenait la vieille dame tenant entre ses mains une large ampoule de verre qu’elle élevait à bonne hauteur et à travers sa transparence, tournée vers la fenêtre, elle examinait la qualité de ses urines. Puis elle reposait sur la table la cornue tremblotante et ôtait les larges besicles dont elle aidait sa vue, devenue avec l’âge faible et incertaine.

Julie abusait de cette infirmité de sa tante dont elle avait évalué la juste proportion, pour mettre Nicolas au supplice. À peine réfugié dans l’appartement de Mme de Galandot, elle venait l’y relancer. Il n’avait plus aucun repos. Elle lui infligeait la transe continuelle d’être surpris à quelques-uns des jeux sournois qu’elle imaginait en présence même de sa tante ; Nicolas ne savait vraiment pas où se mettre. Par contenance, il