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LA DOUBLE MAÎTRESSE

tude qui eût sans doute offusqué l’autre, tant elle mettait une sorte de hâte à satisfaire l’impatience qu’elle causait. Aussi fut-elle à son insu en mesure de servir son mari auprès de beaucoup de gens qui surent à leurs dépens ce qu’il en coûta à leur complaisance d’avoir profité de la sienne. Parfaitement heureuse, elle fit beaucoup d’heureux. Mais le désir passe avec qui l’a fait naître. Sa brusquerie se prend aux apparences qui se gâtent les premières. Tout charnel, il se conforme à la chair ; il en dépend et, comme il en a subi la vigoureuse chaleur, il se mesure à la durée de son éclat.

Celui de Julie fut splendide et succulent. Elle éblouit, charma et ne retint pas. Elle eut des liaisons et pas de ces liens qui nouent l’une à l’autre deux destinées et font que l’amour se prolonge entre deux amants malgré le déclin des corps qu’ils unissent et l’usure des visages dont ils se regardent. M. le maréchal de Bonfort, qui l’avait eue des premiers, l’appelait assez plaisamment les Mille et une Nuits. Elle souriait et passait outre, toujours belle, voluptueuse et fraîche.

Pourtant le temps vint où le sourire délicieux qui avait animé ce charmant visage n’y trouva plus l’aide de la jeunesse et où la belle Julie fut la toujours belle Julie avant de devenir l’encore belle Mme de Portebize. Elle le restait d’une beauté plus mûrie et comme alourdie, ce soir où, le dernier, elle parut parmi ceux qui allaient si vite l’oublier.

On soupait chez le maréchal de Bonfort quand, au milieu du second service, le gros Portebize