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LA DOUBLE MAÎTRESSE

haïssons à tort pour leurs bourdonnements et leurs piqûres. Nous attribuons une tracasserie exaspérante à ce qui n’est que la suite de leur instinct. Ils cherchent en notre sang la substance de leur vie et l’énergie ailée qui la rend heureuse, mobile et, si l’on peut dire, universelle. Ils font ce que je fais. Mon esprit bourdonne comme eux sur toute chose, y revient, la guette, l’environne, s’y obstine, s’en nourrit et promène en son vol léger sa curiosité continuelle. »

L’abbé Hubertet disait vrai. Né curieux, il le resta avec un goût toujours nouveau et toujours durable pour le spectacle des choses. Leur répétition quotidienne ne le lassait point.

Une fois son travail achevé, il descendait, d’habitude, des hauteurs de son quartier vers quelque point de la ville choisi d’avance ou qu’il laissait le plus souvent au hasard le soin de déterminer pour lui.

L’abbé Hubertet était un promeneur infatigable. Il marchait à son pas et s’arrêtait à son gré, sans aucune honte à rester planté là, pour peu que l’envie lui avait pris. Il regardait les passants et les boutiques. Toutes choses ont des rapports imprévus.

C’est ainsi que le fruitier, derrière son étalage, lui apparaissait plaisamment, comme un marchand de masques en plein vent. La mine allongée des poires n’y voisine-t-elle point avec la face joufflue des pommes ? Les coings ne portent-ils pas sur la joue un duvet de jouvenceaux ? L’aubergine a la trogne vineuse d’un vigneron. La pêche offre son fard de grande dame. La citrouille représente