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LA DOUBLE MAÎTRESSE

sa campagne déserte. Des voies pavées la parcourent ; de longs aqueducs la traversent de leurs enjambées de pierres, et on croit entendre le pas éternel de leur marche gigantesque et immobile.

Le retour fut morose. Il fallut subir en route les dépits et les plaintes de M. de la Grangère et de ses ambitions déçues. L’évêque garda de son échec une plaie et une aigreur d’esprit dont se ressentit cruellement son diocèse et dont lui finit par mourir.

L’abbé Hubertet, pour sa part, semblait ne point se lasser de vivre. Avec l’âge son embonpoint naturel s’accrut jusqu’à l’obésité. Ses jambes courtes travaillaient à porter son gros ventre. Son quadruple menton retombait sur son rabat ; mais, malgré sa panse et sa lippe, il n’en restait pas moins de sens clair et prompt. Il avait conservé ses habitudes laborieuses. Sa corpulence tonnelait une malice de vin vieux, une odeur de bon cru. Sa bonhomie fleurait fin.

Il devait sa graisse plutôt à une disposition de nature qu’à une existence particulièrement sédentaire. Ses longs voyages ultramontains l’habituèrent à supporter le froid et le chaud en toutes leurs intempéries.

Partout il vécut sainement et gaillardement et sans que les moustiques même entamassent la peau qui tendait ses larges joues. « Je leur pardonnais, disait-il, car ils me rappelaient assez bien ce que j’étais moi-même. Je m’y comparais volontiers et, tout en chassant de la main leur vol importun, j’en excusais l’insistance. Nous les