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LA DOUBLE MAÎTRESSE

tebize admirait que la petite laitière fût devenue cette agréable personne debout devant lui, qui babillait si gentiment tout en courant de temps à autre à l’escalier voir, par-dessus la rampe, si M. l’abbé ne se montrait point.

M. de Portebize se divertissait fort à tout cela et d’une idée qui le faisait sourire à la dérobée. Où pouvait bien coucher Mlle Fanchon ? L’appartement ne contenait pas d’autre lit que celui de l’abbé et M. de Portebize ne pouvait s’imaginer décemment que la jeune fille pût en partager l’oreiller carré et l’édredon rouge avec le respectable M. Hubertet, d’autant plus qu’elle parlait de son vieux protecteur avec une simplicité toute filiale et qui ne laissait rien à penser.

— « Vous ne saurez jamais, Monsieur, combien l’abbé Hubertet fut bon pour moi. Il m’emmenait avec lui à la promenade. Quelquefois il m’oubliait bien dans la boutique d’un libraire, car il était distrait, mais il revenait bientôt m’y reprendre. Quand il me laissait à la maison, il ne manquait guère de me rapporter des cornets de dragées ou des moulins à vent en papier. Je soufflais dessus pour les faire tourner ; alors il riait de voir mes joues gonflées et il semblait s’amuser fort d’entendre les bonbons craquer sous mes dents, et, comme il se défendait quand je voulais l’embrasser avec ma bouche toute sucrée !

— Mais, Fanchon, quand vous étiez petite fille, qui donc vous passait votre robe, vous lavait le visage et vous peignait les cheveux ?

— C’était lui-même, Monsieur ; je le vois encore.