Page:Régnier Double maîtresse 1900.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
20
LA DOUBLE MAÎTRESSE

monde, et quand, à son miroir, avant de se mettre au lit, elle défaisait sa guimpe de lingerie et laissait tomber sa jupe de futaine, de cette dépouille, couleur de cendre et de feuille morte, elle sortait nue et plantureuse, les seins lourds et la croupe rebondie.

François de Portebize se revoyait à Bas-le-Pré, assis en face de sa mère, devant la grande soupière à fleurs à laquelle ils apportaient tous deux un appétit égal. Le sien s’aiguisait au grand air. L’après-midi, il battait le pays sur un vieux courtaud qui le ramenait le soir aux quatre tourelles de Bas-le-Pré. La nuit, il entendait grincer leurs girouettes. Le vent courait sur les campagnes par larges poussées et s’arrêtait un instant à taquiner les vieilles ferrures, puis passait outre et continuait sa route aérienne. Cette antique demeure, avec sa cour herbue, debout au milieu des champs, lui semblait un triste séjour. L’alentour n’en compensait pas l’intérieur.

Cette piètre seigneurie de Bas-le-Pré était composée de terres revêches et dures, rebelles à la charrue, d’une culture difficile et d’un produit médiocre. Le blé y poussait court ; l’herbe rase nourrissait un bétail maigre. Le paysan y était hargneux et hâve. Les bois sans futaie ne donnaient guère que des broussailles et des baliveaux. Les troncs y étaient rugueux, les branches estropiées, les souches cornues et grimaçantes. Des marais embusquaient çà et là leurs eaux ternes qui en rongeaient sournoisement les bords. C’était un mauvais coin de pays, une sorte de sol de