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LA DOUBLE MAÎTRESSE

rebut qui contrastait avec les terres voisines, vertes, plantureuses, de bon aspect.

Ce Bas-le-Pré enfonçait par des pointes bizarres son terroir anguleux et dur dans la fertilité environnante. Il formait une enclave hostile, ridée de sillons arides, vêtue d’herbe pelée. Ses mares glauques louchaient, ses arbres menaçaient. Il avait, si l’on peut dire, mauvais visage. Il était une manière de déchet dont les seigneurs du lieu durent s’accommoder tant bien que mal. Ils y avaient toujours vécu à l’étroit, retirés et rétifs, connus pour leur âcre vouloir et leur méchant caractère, leur aigreur. Mal hospitaliers, de foi scabreuse et d’adresse retorse, assez bien représentés par leur nom même de Mausseuil.

C’était merveille de penser que la belle Julie fût née en ce vilain lieu, de ces vilaines gens et même du pire d’entre eux. Elle était la fille tardive du dernier M. de Mausseuil qui, d’un second mariage d’où elle était issue, l’avait laissée orpheline avec la seule compagnie d’une tante plus qu’à moitié folle, autant par nature que par la rage d’avoir vu sa cadette sortir de Bas-le-Pré et épouser par une fortune extraordinaire le comte de Galandot dont elle mit au monde, en 1716, un fils du nom de Nicolas, qui se trouva le cousin de Julie et, par suite, devint le grand-oncle de François de Portebize.

Les terres des Galandot étaient vastes et bonnes. Elles entouraient de toutes parts celles des Mausseuil. Les quatre tourelles de Bas-le-Pré regardaient au-delà de leurs chétifs arpents s’étaler une noble