Page:Régnier Double maîtresse 1900.djvu/201

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
201
LA DOUBLE MAÎTRESSE

comédiennes façonnent le masque apparent de leur illusion, le tout petit peu de chair, de nerfs et d’os dont elles composent leur fantôme charmant et ce qu’y ajoutent les aides matériels de la parure, l’appoint des fards et le secours des étoffes, dont elles se rehaussent, se griment ou se vêtent.

C’est cette différence et cette surprise qui intéressaient M. de Portebize. Il était fort impatient de pouvoir mesurer l’écart qui existait entre la brillante et la fallacieuse sylphide qui avait charmé ses yeux et la créature certaine qui allait lui offrir la simple vue d’elle-même.

Ce qui le rassurait le mieux en cette épreuve était que Mlle Damberville avait été beaucoup aimée. De ses nombreux admirateurs, il lui restait des amants et, de ses amants, des amis, ce qui laissait à penser que, derrière l’apparition aérienne existait une femme terrestre et, sous le masque, un visage. En attendant de pouvoir vérifier son désir, il se rappelait avec délices l’image de Mlle Damberville, dansant en ce ballet d’Ariane qui faisait vogue en ce moment et où, au dire des amateurs et des gazettes, la belle Nymphe s’était surpassée.

La scène représentait un lieu champêtre, sauvage, avec de grands rochers couverts de lierre. C’était en ce paysage crétois que les cent jeunes gens et les cent jeunes filles, amenés par Thésée en sacrifice au Minotaure, se lamentaient de leurs funestes destins. Les évolutions des groupes mêlaient les figures. Puis chacun des adolescents choisissait une des vierges, et les couples, unis