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LA DOUBLE MAÎTRESSE

d’y remettre et laissait traîner sur les meubles, où il puisait à tous moments et dont il éparpillait, par pincées, le contenu sur ses habits et jusque sur sa palette. Il s’en mêlait aussi à la poussière colorée de ses pastels et plus d’un de ses portraits portait à la joue la mouche involontaire d’un grain de tabac.

Malgré la brusquerie de son humeur, les exigences de ses caprices et les écarts de son caractère, les hommes et les femmes recherchaient également la faveur de son crayon. Il excellait à rendre les physionomies en leur détail le plus changeant et à en saisir la mobilité même. Si la société se disputait à prix d’or la mode d’être peinte par M. Garonard, quelques amateurs se partageaient silencieusement les toiles, les dessins et les eaux-fortes où il traitait, pour lui-même et pour eux, le seul sujet qui l’intéressât vraiment.

M. Garonard était le peintre du corps des femmes en sa nudité et en sa couleur. Il l’étudiait passionnément. Il demandait à l’amour ses attitudes les plus secrètes et les plus hasardeuses, et il les reproduisait avec tant de liberté et d’exactitude qu’on y sentait vivre la volupté et le plaisir. M. Garonard n’usait point pour cela de modèles proprement dits ; il détestait les beautés d’académie et d’atelier, mais rencontrait-il dans la rue ou ailleurs quelque belle fille, il l’amenait chez lui et la priait de se mettre à l’aise et d’oublier qu’il était là. Parfois, il en réunissait plusieurs et les faisait se taquiner et s’ébattre entre elles, et, suivant du crayon leurs mouvements et leurs