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LA DOUBLE MAÎTRESSE

gestes, il s’efforçait de fixer les plus naturels et les plus agréables. Son papier se couvrait ainsi d’esquisses et de croquis où il trouvait ensuite un vivant répertoire de formes animées.

Chaque matin, il le feuilletait négligemment jusqu’à ce que l’une des figures qui lui passaient sous les yeux arrêtât son attention. Alors il la reportait sur une feuille d’étude et la travaillait séparément. Il n’y ajoutait ni paysages, ni accessoires. Il ne voulait que la grâce des lignes et la vérité du dessin. La nudité des corps semblait plus nue encore au vide du papier, et M. Garonard prétendait que la rondeur d’un sein, la courbe d’une hanche, le pli d’une nuque ou l’ampleur d’une croupe suffisent par eux-mêmes à faire tableau.

C’est ainsi qu’il avait composé et dessiné d’après Mlle Damberville une admirable suite de cent figures au naturel qui étaient, au dire de la danseuse, l’histoire de sa beauté. Elle les gardait précieusement et ne les montrait guère. Les quelques pièces du même genre dont M. Garonard s’était dessaisi avec peine appartenaient à M. de Bercherolles ou à M. de Parmesnil qui les conservaient jalousement, de telle sorte que le public ignorait assez le singulier talent de son peintre à la mode, et que les belles dames de Paris et de Versailles, qui se disputaient l’avantage de payer fort cher leur portrait, ignoraient que ce long homme maigre, qui leur imposait durement ses inexactitudes et ses lubies, était moins sensible à l’honneur de représenter leur visage qu’au plaisir de dessiner à nu la moindre petite coureuse, pourvu