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LA DOUBLE MAÎTRESSE

Bercherolles, seriez-vous quelque peu plus riche, car il vous a coûté gros, mais sans les dépenses que vous y avez faites j’aurais été moins heureux.

— Nous devons d’autant plus nous en louer, reprit M. Garonard, qu’il cause tout de même de terribles ravages. J’ai peint plus d’une fois des visages d’hommes ou de femmes qui portaient des traces certaines de ses larmes et de ses tourments.

— Je crois que notre bonheur en amour vient surtout, dit Mlle Damberville, de la familiarité où nous avons vécu avec l’amour. Nous lui laissions prendre à son gré toutes les formes du hasard, sûrs de le retrouver toujours sous le masque où il se plaisait à se déguiser pour nous apparaître. Il nous a été reconnaissant d’obéir à ses caprices. Il ne devient dangereux que lorsqu’on l’emprisonne sous un aspect unique. Sa nature même, qui est universelle, répugne à cette contrainte ; mais si, au lieu de cela, on le laisse libre de nous émouvoir selon les surprises où il aime à se travestir, il reconnaît notre complaisance par des égards particuliers ; sinon, il se vengera d’une fidélité malencontreuse par les plus dures, les plus absurdes et les plus piteuses servitudes.

— Je crois bien que Mlle Damberville a raison, dit M. de Parmesnil, mais je ne la savais pas si grande philosophe. Supposez en effet que l’un de nous eût aimé exclusivement Mlle Damberville, qu’au lieu des délices du plaisir il eût exigé d’elle les constances de la passion, serait-elle l’aimable grâce ailée qui voltige en nos souve-