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LA DOUBLE MAÎTRESSE

— « Ne lui en dites rien, Monsieur, je vous en prie. Cela le peinerait. »

Et elle s’essuyait les yeux.

— « Qu’y a-t-il donc qui vous chagrine, jolie Fanchon ?

— C’est de quitter M. l’abbé.

— Quitter l’abbé ! Et pourquoi donc le quittez-vous ?

— Il faut tout vous dire, Monsieur. Ce matin, il m’a prise sur ses genoux. « Fanchon », m’a-t-il dit doucement, « voilà qui est bien. Tu es une bonne fille et je t’aime beaucoup, mais il faut nous séparer. Que veux-tu ? je ne puis pourtant pas, malgré mon âge, vivre avec un premier sujet de l’Opéra. Maintenant, on va s’occuper de toi ; ton nom sera dans les gazettes. Tu vois d’ici le bel effet. — Et où habite cette demoiselle Fanchon ? — Mais avec M. l’abbé Hubertet. — Oui bien. — Et c’est elle qui danse les Égarements champêtres ? — Ah ! vraiment ! — Tu comprends cela, Fanchon ? » Alors j’ai pleuré et il pleurait aussi ; et, comme je lui offrais de renoncer à mon rôle, de rester tant qu’il voudrait une petite danseuse de rien, à qui personne ne ferait attention, il riait et il disait : « Renoncer à ton rôle, Fanchon ! Tu n’y penses pas, un rôle pour lequel Mlle Damberville est en prison ! » et il ajoutait mille choses tendres qui nous faisaient pleurer davantage. »

Mlle Fanchon avait oublié, en parlant, qu’elle était en corset et en jupon. Son corset serrait sa taille fine et laissait voir sa gorge que l’émotion faisait palpiter.