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V


Olympia s’appelait à sa naissance Lucia. Son père était l’un de ces bateliers du Tibre qu’on voit amarrer leurs barques au port de la Ripetta et qui semblent porter sur leur peau hâlée un reflet jaune du vieux fleuve. Il eût été difficile de dire exactement s’il se nommait Giuseppe ou Gabriele, car la mère de Lucia s’abandonnait tour à tour à beaucoup d’hommes, et il n’en était guère, de ceux qui vont par eau d’Ostie à Rome, qui n’eussent serré entre leurs bras sa poitrine maigre et ne l’eussent culbutée sur les sacs de blé ou les tas de légumes. Les jours de salaire, elle fréquentait les cabarets du port. Sa voix aigre se mêlait aux jurons et aux rires, au heurt des cruches et au bruit des verres. Sa bouche était familière aux haleines vineuses ou alliacées qui mélangent au baiser le rot et le hoquet.

D’ordinaire, elle se tenait postée sur le quai, devant une corbeille d’oranges et de citrons qu’elle vendait aux travailleurs. Ils s’arrêtaient devant elle, le fardeau aux épaules, choisissaient un fruit du panier et se relevaient en y mordant à belles dents. Tout le monde la connaissait. Elle habitait