Page:Régnier Double maîtresse 1900.djvu/311

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une chambre dans une pauvre maison du Vélabre. Son taudis sentait la chandelle et les écorces, car elle ne manquait pas, pour mieux vendre ses fruits, de brûler une petite cire devant l’image de la Madone. Elle était pieuse. On disait que les bas sacristains de San Giorgio ne craignaient point de la disputer aux bateliers, et qu’elle passait, tour à tour, des brûleurs d’encens aux vendeurs de marée.

C’est de l’un d’eux qu’était née Lucia. Six ans après, la Romaine mourut pour avoir été rouée de coups dans une querelle de taverne où on la traîna par les cheveux sur le pavé gluant d’une boue vineuse qu’elle ensanglanta d’une large blessure à la tête, qui ne guérit point et dont elle finit par trépasser, seule sur son grabat, tandis que la petite Lucia, tout en mordant un citron vert, chassait les mouches bourdonnantes qu’attirait en grand nombre le régal de la plaie sanieuse.

Cette mort fit de la petite Lucia une vagabonde. Elle couchait dans une sorte de soupente qu’on lui avait laissée par charité. Les voisines lui donnaient quelques hardes et, de temps à autre, de maigres pitances. Hors cela, elle se pourvoyait où elle pouvait. Souvent elle restait de longs jours sans reparaître au gîte. Elle vivait de la vie des petits mendiants de Rome, qui sont comme la vermine errante de ses vieux murs. Elle demandait l’aumône aux passants, courait derrière les carrosses, harcelait les étrangers, importunait les fidèles à la sortie des églises et, comme par miracle, échappait aux roues des voitures, aux claques des