Page:Régnier Double maîtresse 1900.djvu/357

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Il ne semblait pas s’en inquiéter. Il regardait tranquillement son argent passer aux mains des deux escamoteurs. Bien plus, il ne se rendait aucun compte de la déchéance de sa destinée et ne se représentait nullement avec exactitude la bizarrerie lamentable de son état. La vie a des ruses singulières pour nous faire accepter en douceur ses pires circonstances, et ses voies sont telles qu’elle nous conduit toujours où elle veut, sans que nous nous en apercevions. Il est probable que, si on eût montré d’avance à M. de Galandot la figure qu’il ferait un jour entre Olympia et Angiolino, il se fût refusé à ce baroque avenir.

Certes, il se fût étonné de se voir au même miroir où Olympia coiffait ses cheveux, debout derrière elle à lui tendre les épingles, la pommade et le peigne, sans se douter qu’après tout il accomplissait là sa fonction secrète et naturelle.

N’était-il donc pas né pour la servitude ? Cette disposition remontait loin en son passé et il aurait pu, en regardant mieux, distinguer, dans la glace qui le reflétait ainsi en une sorte d’arrière perspective de lui-même, d’autres Messieurs de Galandot, d’âges divers, mais tous également serviables, depuis celui qui récemment surveillait le pot de la vieille Barbara jusqu’à celui qui naguère aidait le vieil Hilaire à cuire ses œufs dans la vaste cuisine déserte de Pont-aux-Belles ou qui, un long balai à la main, chassait les chauves-souris de la chambre nocturne de Mlle de Mausseuil ou, accroupi dans le sable des allées, y construisait des jardins de brindilles et des maisons