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LA DOUBLE MAÎTRESSE

guère et où elle passait son temps en oraisons et en comptes, étant, de pieuse, devenue dévote et, d’ordonnée, plus qu’avare.

Les économies n’avaient point porté que sur les gens. Les écuries furent vidées. Le comte détestait la chasse et l’équitation et n’avait jamais eu ni meutes ni bêtes de selle, mais son humeur pompeuse et vaine se plaisait assez aux beaux attelages. Il voyait là un attribut de gentilhomme et n’eût manqué pour rien au monde à en user. Aussi nourrissait-il plusieurs paires de forts chevaux qu’il tirait à grands frais d’Allemagne, une d’alezans dorés, une autre de blancs, la troisième de gris pommelés, une encore de disparates et la dernière de hongres pies, dont il ne se montrait pas peu fier.

C’est ceux-là qu’on attelait au grand carrosse doublé de satin rouge à crépines d’or, aux housses armoriées, où montaient M. et Mme de Galandot, en habit de cérémonie, pour visiter le voisinage, ce qui avait lieu, chaque année, d’ordinaire aux premiers jours du printemps.

L’air frais d’avril entrait par les glaces baissées. La route sonnait aux fers des chevaux ; parfois une ornière faisait pencher le carrosse, car les pluies de l’hiver avaient raviné le terrain ; des oiseaux coupaient le ciel d’un vol vif ; un lièvre déboulait d’un champ et traversait le chemin. Les paysans saluaient au passage. Dans les hameaux, sur le pas des portes, des femmes regardaient venir le noble équipage ; on entendait le bruit d’une enclume ou le grincement d’une corde de