Page:Régnier Double maîtresse 1900.djvu/427

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quêtes sont parfois pacifiques. » Ce disant, il faisait sauter l’un des bouchons et versait à la ronde la boisson mousseuse et pétillante.

« L’effet en fut des plus agréables. Après quelques verres, il nous monta à la tête des fumées légères qui nous mirent dans un trouble délicieux. Notre hôtesse parut en ressentir particulièrement le bienfait. On eût dit qu’elle buvait un philtre. La jeunesse lui remontait au visage en couleurs renouvelées ; ses lèvres retrouvaient une pourpre plus riche et ses yeux un regard d’une vivacité nouvelle. On eût dit voir une main habile effacer d’un beau portrait la crasse du temps et que la peinture rafraîchie rendait visibles aux yeux les intentions premières du peintre.

« Elle buvait, renversée au dossier du fauteuil, souriant à nos propos et y répondant avec entrain. Nous échangions des anecdotes. Elle en raconta quelques-unes de fort libertines ; ces images voluptueuses excitaient nos sens. Elle s’apercevait aussi que nous n’étions pas insensibles à ses charmes et nous l’aidâmes à mieux s’en rendre compte ; assis chacun à son côté, nous la pressions fort du genou. Elle répondait de son mieux et semblait fort contente de ce triomphe improvisé d’une beauté à laquelle elle avait trop tôt renoncé en s’enfermant loin du monde en ce château perdu, et elle jouissait de ce retour à un passé dont elle ne paraissait pas avoir oublié les galantes occupations. Nous travaillions, Créange et moi, à lui en redonner l’idée. Elle entrait parfaitement dans nos vues.