Page:Régnier Double maîtresse 1900.djvu/426

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amuser notre hôtesse ; peu à peu elle s’animait et, au lieu de billevesées et de platitudes de province auxquelles nous nous attendions, c’étaient les propos les plus joyeux, les plus piquants et les plus libres, s’il faut le dire. Cette aimable personne paraissait avoir vécu dans le plus grand monde et la plus galante compagnie.

« Peu à peu, le feu des épices nous montait à la langue. Les vins manquaient. On en servait d’un seul, mais bon. La dame s’en excusa. On vivait ici si à l’écart et dans une retraite si continuelle que la cave s’en ressentait et ne contenait guère que les piquettes du crû. C’était calomnier ce que nous buvions et faire injure au très digne coteau qui remplissait les verres. Si notre hôtesse s’en contentait pour l’ordinaire, elle semblait se souvenir en avoir bu du meilleur. Elle en parlait avec connaissance et nous nous demandions qui pouvait bien être cette dame qui montrait une expérience des tables les plus fines et y avoir connu tous les plaisirs de la bouche.

« Nous en étions là quand Créange se frappa le front. Il se souvenait que son porte-manteau contenait par hasard quelques bouteilles d’excellent champagne. La femme d’un marchand chez qui nous avions logé quelques jours avant n’avait pas voulu nous laisser partir sans que nous emportassions quelques flacons cachetés, pour les boire, en souvenir d’elle, à la santé du roi. « Telles sont, Madame, les fortunes militaires », disait Créange, en revenant de quérir les bouteilles ; « les braves inspirent des sentiments passagers. Leurs con-