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LA DOUBLE MAÎTRESSE

de les faire germer en sa mémoire, et satisfait d’avoir mis au fond de son disciple une belle matière de pensée.

« Je lui confie, pensait l’abbé, quand, la leçon finie et les livres refermés, ils allaient faire un tour au jardin, je lui confie la lampe de Psyché, éteinte, il est vrai, mais qu’une étincelle peut ranimer. » Il faisait beau ; les buis sentaient amer ; la cloche du déjeuner sonnait, et l’abbé, en rentrant au château, ne manquait pas, dès le vestibule, de jeter la feuille ou la fleurette qu’il mâchonnait entre ses grosses lèvres, car il n’eût pas osé se présenter devant Mme de Galandot en cet appareil qu’il jugeait galant, champêtre et trop familier.

L’abbé Hubertet se surveillait fort à ces déjeuners pour ne point laisser échapper son approbation à la qualité d’une viande ou à la saveur d’un fruit. Mme de Galandot ne semblait porter aucune attention à ce qu’elle mangeait. Une fois même qu’on servit une pièce de gibier avariée, elle alla jusqu’au bout de son assiette et Nicolas en fit autant, car il se tenait vis-à-vis de sa mère dans une singulière servitude d’imitation. Il paraissait que Mme de Galandot gardait sur son fils un empire extraordinaire. On ne sentait pas seulement Nicolas tel qu’il était parce que les entrailles originelles l’avaient conçu ainsi, mais surtout parce que l’autorité maternelle l’avait rendu ce qu’elle voulait qu’il fût.

Nicolas de Galandot était, à quatorze ans, d’une taille assez haute et flexible, par suite d’une croissance subite par où il était brusquement sorti d’enfance. L’expression du visage, par contre