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LA DOUBLE MAÎTRESSE

elle assujetti, non seulement par les liens de l’affection, mais encore par le nœud solide d’une durable captivité filiale. Elle se croyait, à vrai dire, seule appelée à le rendre heureux, sans admettre un instant qu’il pût l’être quelque part en dehors d’elle. La pensée qu’il la quitterait jamais lui était insupportable. Qu’aurait-il besoin, par exemple, de prendre du service ou de faire valoir à la cour ceux de ses ancêtres ? Et tout au fond d’elle-même l’idée qu’un jour il se mariât lui répugnait presque également.

L’abbé Hubertet abordait parfois ce sujet avec Mme de Galandot et même, à mesure que Nicolas prenait de l’âge, il y insistait plus souvent. Il recommandait à la mère ce moyen de garder son fils à sa portée, de le fixer à Pont-aux-Belles, lui représentant que l’oisiveté du cœur est nuisible et que l’amour d’une mère, si grand qu’il fût, ne remplaçait point l’amour d’une femme, si changeant qu’il pût être ; que Nicolas touchait à ses vingt-deux ans et qu’il conviendrait de le pourvoir.

L’abbé mettait quelque malice à passer en revue les demoiselles qui pourraient convenir à Nicolas. Mme de Galandot, si retenue d’ordinaire, perdait alors toute mesure. Quelquefois elle rembarrait durement ou avec sécheresse le sermonneur, mais le plus souvent son irritation se prenait au piège, et sa bile valait à l’abbé des portraits où la charité chrétienne, mise de côté, laissait place à la verve la plus caustique.

Elle se donnait carrière avec une âcreté inimaginable, déchirant même qui elle ne connaissait pas, oubliant que depuis plus de quinze ans elle n’avait