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LA DOUBLE MAÎTRESSE

le ramenèrent à Bas-le-Pré et, à l’état où ils trouvèrent la pauvre Anne, comprirent toute l’étendue du malheur. Ils s’installèrent à son chevet et la soignèrent jusqu’au jour où elle mourut sans consentir à revoir son mari, disant qu’elle avait trop compté sur ses forces en espérant lui pouvoir passer les retours de sa nature, et qu’elle préférait mourir à se sentir incapable du devoir qu’elle s’était prescrit et qu’il était au-dessus d’elle d’accomplir. À la suite de ces tragiques événements, les du Fresnay rompirent tous rapports avec M. de Mausseuil et ce ne fut qu’à cause de la petite Julie restée orpheline que M. du Fresnay reparut à Bas-le-Pré.

On était vers le soir ; M. de Mausseuil reposait sur son lit entre deux cierges allumés. Personne auprès de lui ; la maison semblait vide. M. du Fresnay et l’abbé se mirent à la recherche de Julie qui avait disparu depuis le matin. En passant par un corridor, ils virent de la lumière aux fentes de la porte de Mlle Armande. On avait enfermé la folle dans sa chambre, et les deux hommes eurent la curiosité de regarder par le trou de la serrure. Elle se tenait debout, coiffée bizarrement, et, sa jupe troussée, nue depuis la ceinture, elle s’occupait à s’administrer un grand clystère et, des deux mains, tenant derrière son dos la grosse seringue, elle lui cherchait au mur un point d’appui. Ces messieurs se retirèrent en haussant les épaules et finirent enfin par trouver Julie.

L’enfant dormait, étendue tout habillée sur son lit ; elle gardait encore d’une main une pomme mordue où l’on voyait la trace espacée de ses