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« lisse », etc. Ils nous remémoreront, si nous l’avons oublié, que les mots : « désappointement », « retourner » un journal, des éditions « illustrées, » et tant d’autres expressions qu’on emploie journellement à Paris dans la conversation, dans les journaux et dans les livres, sont autant d’anglicismes d’importation récente et qu’une langue châtiée devrait proscrire.

Mais que les Canadiens français nous permettent de le leur dire : cette invasion est beaucoup plus dangereuse pour eux que pour nous. Ce qui n’est chez nous qu’une manie ridicule et vraisemblablement passagère, est pour eux, s’ils n’y prennent garde, un danger permanent. Qu’ils bannissent donc impitoyablement de leur conversation tous les mots anglais qui s’y sont subrepticement glissés et qui deviendraient peu à peu les maîtres de la place. La Fontaine dirait de ces intrus :

Laissez-leur prendre un pied chez vous,
Ils en auront bientôt pris quatre.

Pourquoi dire : Side-board, tea-board, tea-pot, quand vous avez à votre disposition les mots buffet, plateau, théière, qui sont à la fois très français et très euphoniques ? Pourquoi parler de store, quand nous avons étage, de state-room, quand nous avons salon ? Stool vaut-il mieux que tabouret et préfèrerons-nous slippers à pantoufles ? Dans une satire publiée jadis dans l’Aurore, ce défaut était vertement relevé par un versificateur canadien, qui ne ménageait pas les verges aux délinquants :

La paresse nous fait négliger notre langue.
Combien peu, débitant la plus courte harangue,
Savent bien conserver l’ordre et le sens des mots,
Commencer et finir chaque phrase à propos !
Très souvent, à côté d’une phrase française
Nous plaçons sans façon une tournure anglaise.
Présentment, indictment, empeachment, foreman,
Shérif, writ, verdict, bill, roastbeef, warrant, watchman.
Nous écorchons l’oreille avec ces mots barbares…

Ce ne seraient là que bagatelles ou même élégances, s’il